Un homme et une rame

1En fait, ce ne fut pas très simple, car dès le début, Ulla dansait comme un foi de morue gélatineux, et moi comme un camion-poubelle qui aurait loupé son virage.

Très vite, le truc avait été d’essayer de calquer son meilleur pas sur le meilleur mouvement du bassin de l’autre, ce qui donna bien vite un  décalage désastreux qui en sus s’avéra dangereux pour nos rotules.

A tel point qu’un conglomérat de médecins tchèques vint nous observer, avant d’improviser à la va-vite un colloque qu’ils nommèrent à brûle-pourpoint : « Fissures et lésions irréparables dans l’enceinte du genou intérieur droit ».

Nos tibias ne devaient plus s’entrechoquer bêtement, jusqu’à risquer de provoquer ces élancements dans ces tissus dont il aurait été particulièrement délicat de se passer.
Le système médico-éducatif tout entier prit l’habitude de venir nous voir et de nous reluquer d’un oeil égrillard, avant d’être surpris puis de devenir petit à petit, réuni par le charme de nos maladresses, nos premiers supporters.

2Malheureusement, et ce malgré des heures d’un entrainement éprouvant, ça ne donna rien, sinon une sorte de Jerk rétrograde épouvantable  à regarder qui finissait par éloigner nos amis les plus proches, ceux-là même qui avaient jusque-là tenu le coup face au boutoir du ridicule.

Pouratnt, encore une fois, la magie de l’amour fut au rendez-vous, et enfin, à persister ainsi, à nous mettre tout le monde à dos, nous gagnâmes en solidarité l’un envers l’autre, et le ressentiment de toute cette adversité alentour, en quelque sorte,  galvanisa nos forces et bientôt, Ulla devint la meilleure, une véritable reine vaudou sur les pistes de danse disco.
Les parquets des musettes commençèrent alors à colporter notre légende bien au-delà de la poussière du grand ouest à l’horizon.
Les mois suivant, après avoir écumé les comices agricoles à la recherche d’un regard, nous commençâmes alors à triompher dans les concours départementaux.

3Même lors des après-midi merguez, il y avait toujours quelques-uns de ces nouveaux amis à insister lourdement  pour que nous esquissions quelques pas, alors nous nous lancions sans trop sourciller, afin d’amuser ces veuls bandits qui auparavant n’auraient pas hésité une seconde à nous railler.

Nous n’étions pas amers, pas plus épris de vengeance, juste gagnés par ce trouble du début qui, à mesure que nos corps se frottaient, languissants, languides, s’adonnant à l’autre, se transformait en ce plaisir démoniaque  qui échauffait le bas-ventre, les reins, bref plus ou moins le bassin, puis, gagné par le tourbillon de nos désirs, nous subissions alors les assauts incertains du plaisir chaque seconde un peu plus lors de ces longues minutes torrides où nos jambes s’entremélaient.

Mon désir pour Ulla fut de plus en plus présent, pressant, à mesure que je la collais ainsi comme un babouin à toutes heures du jour et de la nuit sous le prétexte d’un entrainement pour Landerneau, prix qui nous avait toujours échappé pour je-ne sais quelle raison liée à l’altitude, à tous les coups.

4Et nos rapports jusque-là très professionnels, se compliquèrent alors.

J’avais constamment la gaule. Et je percevais désormais tout le temps ce doux ruissellement à travers ses robes mordorées qui lui allaient si bien mais que je rêvais d’arracher avec les dents.
Elle serait mienne, et je serais sien. Un point c’est tout. Et c’était pas rien.
Un jour de printemps, adossés aux barricades où nos émois  politiques nous avaient amené dans la chaleur d’une conscience collective profonde qui me boursoufla longuement le slip, d’ailleurs, et qui sensiblement, ne fit pas que lui essorer le sien, nous échangeâmmes les milles mots qui batîrent le radeau de notre amour s’en allant voguer sur la grande bleue où jamais n’oserait se refléter le moindre nuage gris.

5J’avais chaud, elle brûlait de mille feux, au fond de ses yeux cochons j’ai alors entrevue ce qu’elle souhaitait plus que tout : Me faire gouter son vacherin à l’abricot, mais avant tout, me dit-elle, tu vas me dire ce que tu penses de mon coulis de gingembre aux pétoncles, hein, hein ! Ahanna t’elle d’une façon désastreuse et à l’avance, ce qui provoqua en moi une sorte de terreur liée au danger de l’inconnu, à la peur de ne pas revenir des fins fonds de cette irrémédiable jungle soyeuse mais touffue et inextricable et de devenir un tarzan errant dépeuplé à jamais, dépossédé de lui-même et complètement perdu pour la société. Oui, tout ça à la fois.

Mais en fait son truc c’était trop bon et j’ai accroché à donf.  J’en ai bu et rebu jusqu’à vomir partout, et malgré mon état nauséeux, à la fin, je me disais que c’était certainement ça l’amour, une continuelle et abominable envie de dégobiller qui vous aurait empêcher à tout jamais de penser raisonnablement.

c715mEnsemble, nous avons pu tous les deux défricher le jardin du bonheur, binant bien souvent jusqu’à épuisement de la nappe phréatique.
Elle me tenait le tuyau avec une dextérité hors paire, un savoir fait hors du commun, et lorsque j’arrosais ses fenaisons, ce fut, je dois bien le dire, un formidable apprentissage du jardinage et de la culture maraichêre dans un projet collectif qui visait à faire quelque chose sinon on pouvait vraisemblement s’emmerder comme à peu près tout le monde.

Mais bien vite, je sus qu’il nous faudrait bien plus, pour ne pas finir comme des vieux amants routiniers austères à la Jospin, il nous faudrait en labourer des champs et des champs avant de pouvoir prétendre cultiver cet aimable jardinet, sans même parler de besogner Candide, l’apprenti, dans l’appentit, et à défaut.

c969mNous devînmes boulimiques, insatiables, démesurés.
Dans la passion qui nous gagnait, rien ne nous satisfaisait plus. Nous gouttions alors tous les fruits défendus, ayant même un jour tenté Mélenchon, avant de soudainement prendre le virage Eva Joly.
Une fois même, la déraison l’emporta, dans nos ébats fougueux, furieux, qui nous menèrent d’une façon irrémédiable vers une sorte de folie mâtinée de ruines :
Nous votâmmes François Hollande.

A partir de cet instant, un trouble quasi-psychiatrique nous gagna tous les deux, je fumais des oinchs énormes après quoi je me lançais dans des solos de flute de pan débordant d’une irrépressible mélancolie qu’elle cherchait bêtement à suivre à la guitare, tendue et fébrile, toujours humide malgré cette aridité qui nous gagnait à l’image de la marée qui invariablement ronge le rocher.

c1668J’avais beau avoir doublé ma conso d’opium, ça ne changeait rien. Elle n’était toujours pas foutu de tirer le moindre accord de cette guitare de luxe que je lui avais offert par désoeuvrement, comme le symbole de cette flamme de briquet, qu’encore à tâton, je m’échinais  à raviver entre nous.
A tord.
Car nos relations s’étaient irrémédiablement distanciées.

Elle me refusait son coulis de groseille et je bloquais encore l’entrée du parc aux jouvencelles qui pullulaient derrière le portail électronique, sachant que je ne pourrais les empêcher bien longtemps de déferler jusqu’à mes bras.
Puis nos rapports se sont durcis, et redevenant ce mâle implacable, je sentis une dernière fois ruisseler sa source alors que je me raidissais, cette source que je moquais, préférant et de loin un bon pastis.

c1669C’était la fin, à l’extérieur, les jouvencelles avaient commencé à se marcher dessus comme dans un misérable remake de la liste de Schindler, c’était pitoyable et il allait falloir que je reprenne le dessus sur moi-même.

J’ai noyé Ulla, l’ai regardé flotté à la surface de l’eau, puis l’ai viré de ma piscine avant de la fourrer à côté du tas de bois, à la cave. Puis j’ai laissé entrer toutes ces chaudasses sans cervelles.

MHPA

4 Réponses

  1. Un beau billet qui finit en partouze.

    1. Merci. Mon côté collectiviste.
      Un hommage inconscient à Hugo Chavez ?

  2. mikehammerpapatamandropov | Réponse

    A reblogué ceci sur Noise and commented:
    Comme l’on se pignole de temps à autre, qu’il est délicieux de se rebloguer tout seul.

  3. […] cette journée de la femme, qui succède à la journée de la rame, après celle du Sanibroyeur et du pommeau de douche, il nous faut désormais tous, pour ne point […]

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